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Le souper fut quelconque.
Arrive tard, Plutarque, ne trouvant plus rien de pret, avait ete oblige de se rabattre sur une _croute garnier_ que la tenanciere composa sur le champ et rechauffa pour lui.
La pate etait detrempee et la sauce avait un gout auquel il fallait s'habituer.
Le debit etait presque vide.
Seul, un mendiant dormait dans un coin en attendant la sortie des concerts.
On n'entendait que le bec de gaz dont le manchon reniflait par intervalles reguliers comme un enrhume, pendant que montait et tombait la lumiere.
Plutarque ne s'attarda pas.
Il paya et sortit.
Maintenant c'etait la pensee de la chambre qui le hantait.
L'hotel vers lequel il marchait n'avait pas de nom.
C'etait un immeuble long et bas, a un etage seulement, une etrange vieille maison qu'on ne reparait plus, du temps ou le quartier Caulaincourt etait de la peripherie, vieille bicoque, que seule la speculation tenait encore debout sur ce terrain cher.
Au-dessus de la porte etroite s'etendait un grand bras de fer ou s'accrochait une lanterne blanche; sur la vitre cassee on pouvait deviner le mot _Hotel_.
Plutarque s'engouffra dans le corridor et monta quelques marches d'escalier jusqu'a la loge puante ou le menage patron couchait sur un lit bas.
Le tenancier se leva, devisagea son client comme quelqu'un qui craint les affaires; puis, ayant percu la taxe pour la chambre et la chandelle, il indiqua: - La quatrieme a gauche en entrant.
Plutarque eprouvait une sensation de bien-etre en refermant la porte.
Des murs! plus d'espace commun a tous; pouvoir etendre son etre, renferme d'habitude en lui-meme, jusqu'a la limite d'une chambre si petite qu'elle fut.
Pouvoir faire ce qu'on veut, tranquillement, sans risquer aucun geste, aucune remarque, aucune reflexion.
De joie, il etira ses bras et cracha par terre, puis il s'etendit sur le vague sommier, dont quelques ressorts jouaient encore, et se tint eveille pour jouir de sa joie.
Il se rappelait qu'il avait deja passe deux nuits dans une chambre semblable de cet hotel, un an ou dix-huit mois avant, il n'etait plus absolument sur.
Ses apprehensions d'alors lui revenaient.
C'etait a l'epoque descendante de sa carriere: il avait trouve, cette premiere fois, la chambre crasseuse; l'odeur l'incommodait; les punaises le mordaient; il avait peur de la porte qui ne fermait pas, des bruits assourdis que l'on percevait a travers l'epaisse cloison.
Aujourd'hui il entendait partir des chambres voisines des vagissements qui avaient beaucoup de chance d'etre de meme nature que ceux jadis entendus; une autre generation de memes insectes s'appretait a le travailler; les vieux relents tout au plus augmentes de puanteurs nouvelles flottaient entre les murs, et cependant il etait bien maintenant, n'avait nulle crainte et restait confondu de l'accoutumance et de la relativite.
Il s'appelait Plutarque.
Ce nom lui avait ete donne un soir chez un marchand de vins, a cause d'un livre qu'on lui voyait lire de temps en temps et qu'il avait ramasse a la porte d'un lycee.
On connaissait l'homme; pour l'interpeller, il fallait bien un nom.
C'etait son nom maintenant pour de bon; il s'en accommodait: on se fait a tout.
La journee qui pour lui s'etait annoncee normale, c'est-a-dire ni bonne ni mauvaise, avait particulierement bien fini.
Il s'etait mis a pleuvoir des arrosoirs, et en depit de l'opinion courante, la pluie n'est pas une chose desagreable; grace a l'eau d'en haut, les trottoirs ne sont pas encombres, les promeneurs et les sergents de ville ne manifestent pas un interet particulier a ce que peuvent faire les gueux; ceux-ci ont meme le loisir de s'arreter, dans leur promenade -- ce qui est deja bien -- sous une porte ou sous la tente d'un cafe -- ce qui est mieux encore parce que, des conversations qui s'engagent nait la possibilite de rendre quelques services; les obliges ne s'attardent pas en general a compter leur billon.
En passant place de la Republique, devant un petit hotel, Plutarque eut le bonheur de voir attendre, dans le cadre de la porte, un homme heureux, c'est-a-dire un ventre assez gros, barre d'une chaine de montre en or, juche sur deux jambes gainees dans un pantalon soigne finissant en souliers a guetres blanches, le tout surmonte d'une bonne figure sous un chapeau melon nullement use.
Ne voulant sans doute pas ternir la joie de son ame ou tacher ses guetres, l'homme heureux avait hele Plutarque pour un taxi.
Peu de temps apres, Plutarque arrivait dans un virage savant, a grande allure, debout sur le marchepied, les mains cramponnees a la poignee.
Avant de laisser refermer la portiere, l'homme heureux avait mis quatre francs dans la main creuse que Plutarque tendait poliment.
Cet homme etait evidemment disproportionne, aussi bien avec le service rendu qu'avec les allures du client.
Plutarque n'avait pas demande au conducteur de faire le tour de la place pour laisser croire que ses recherches avaient ete laborieuses.
Quant au client, il avait l'air a son aise, c'est vrai, mais ne devait pourtant pas etre un abonne de l'Opera.
Seulement, quand on est content
Plutarque examina les pieces sous le reverbere, essaya de les rayer l'une contre l'autre d'abord, puis avec l'ongle noir de son pouce.
Les deux epreuves ayant ete satisfaisantes, il les glissa dans la poche gauche de sa veste; mais comme la doublure ne tenait pas beaucoup, il les retint dans sa main qu'il ne retira pas.
Evidemment, le probleme changeait.
La solution du manger et du dormir, quand on n'a pas le sou, est completement differente de celle qu'on peut lui donner quand on a de l'argent.
Du coup, le travail inconscient de la journee tendant a la preparation de la nuit devenait superflu; c'est sur d'autres bases qu'il partait.
Naturellement, d'abord il mangerait, cela va de soi, et non un de ces bouillons delaves qu'on vous donne dans les soupes de quartier ou dans les patronages, mais des choses qu'on mache et qui resistent juste ce qu'il faut: un _navarin-carotte_ par exemple.
Et la pensee seule de ce mets amenait du jus dans sa bouche.
Puis il mangerait assis, boirait du vin rouge et.
bonheur supreme, coucherait seul.
Cette derniere perspective le ravissait delicieusement: une chambre a soi, avec une place pour dormir, s'allonger sans qu'on vous marche dessus, ne rien voir, ne rien entendre, pouvoir etre avec soi, comme dans la ballade, mais couche.
Il faut dire que le dortoir, la grange ou l'asile, c'est bien a cela qu'on se fait le moins.
Il marchait, chiquant ces idees dans sa tete, sans remarquer qu'il s'eloignait terriblement du marchand de vins et de l'hotel garni qu'il s'etait fixe.
Il ne s'apercevait pas non plus de la pluie qui avait definitivement colle ses vetements sur sa peau.
Ses souliers beuglaient et giclaient si regulierement dans sa marche, que leur chanson lui semblait naturelle comme le bruit d'une source ou le battement d'un moteur.
D'une porte d'usine ou elles attendaient, deux filles haut retroussees l'apostropherent
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